Asexisme, suite


Je vais me concentrer ici sur les sociétés « post-féministes », celles où le féminisme d’hier a déjà fait du bon boulot. Nous savons, à force d’enquêtes sur le sujet, qu’il reste à faire dans le domaine du palpable, du concret : inégalité de revenus, répartition archaïque des tâches ménagères, accès au pouvoir, etc. Tout ceci est mesurable et régulièrement mesuré. Certaines de ces choses évoluent doucement, d’autres évolueront sans doute, plus tard, doucement. La question des tâches ménagères me semble particulièrement intéressante. Celle-ci évolue extrêmement peu. Il y a même un décalage incroyablement frappant entre l’évolution supposée de la société et l’immuabilité de cette défaillance-là. Sans doute parce qu’elle touche au privé, qu’elle est insensible à l’intervention du pouvoir public et à l’action des militants. Elle touche à notre perception viscérale des sexes. Et c’est cet aspect-là, intériorisé, de la sexualisation que je voudrais aborder. Parce qu’il me semble qu’il est largement négligé. Parce qu’il me semble être un obstacle sous-estimé à des évolutions concrètes.

Je crois que l’égalité des sexes est une théorie imposée à des esprits qui n’en veulent pas vraiment, pas encore. Par la loi, la théorie a été mise en pratique. Dans les limites de la loi. Mais pourquoi donc les esprits sont-ils si réticents à adopter l’idée ?

Il y a un problème de taille : nous continuons à imposer, aux enfants comme aux adultes, une éducation très fortement sexuée. Et nous justifions la sexualisation de l’éducation (et des relations) par l’existence de différences entre les genres, différences qui sont elles-mêmes générées en bonne partie par… une éducation sexuée ! Le serpent se mort la queue et personne ne voit rien à redire à cette logique burlesque.

Si personne n’est choqué par ce paradoxe, c’est tout simplement que tout est fait pour entretenir l’idée que les différences ne sont pas construites par l’environnement mais induites par nos gènes et plus précisément par un unique chromosome. Le mythe de Mars et Vénus. Nous ne venons pas de la même planète.

Des expériences ont été menées, notamment l’une où un petit enfant était « transformé » alternativement en garçon et en fille et où l’attitude des adultes était examinée. Cette expérience a montré clairement la sexualisation des attitudes et de l’éducation. Le hic, c’est que pour compléter l’étude, il faudrait disposer d’enfants qui auraient reçu une éducation totalement asexuée. Cela, hélas, n’existe nulle part. Certaines éducations peuvent être moins sexuées, aucune n’est asexuée. Ne serait-ce que pour une raison : l’éducation n’est pas l’œuvre exclusive de la famille, la société prend sa part et il n’y a pas plus sexué que cette éducation-là. Les messages sexistes sont partout. La démonstration est-elle alors impossible ? Peut-être. Reste le pressentiment de ceux qui ont précisément bénéficié d’une éducation moins sexuée, aux yeux desquels les différences résiduelles semblent étrangement artificielles et de moins en moins supportables, même si elles sont trop profondément enracinées pour être balayées d’un simple revers de pensée.*

L’asexisme ne nie pas l’existence de différences, il dit uniquement que nombre d’entre elles sont construites et que celles-ci étant nocives, elles doivent être détruites. N’en déplaise aux Zemmouriens, le mythe ne profite qu’aux Zemmouriens, et encore…

De l’autre côté de l’échiquier, un certain féminisme (dénaturé) s’est fourvoyé dans l’idolâtrie de soi-disant vertus féminines qu’il s’échine à imposer à tous (vive les cosmétiques pour hommes). Position sexiste s’il en est, puisqu’elle revient à entériner à la base la différenciation des sexes.

Une autre position, plus tiède, plus justifiable, consiste à dire que les différences sont bien plus minimes qu’on ne veut bien le dire, qu’il peut y avoir plus de différences entre deux hommes ou deux femmes qu’entre un homme et une femme. Sur le fond, c’est absolument exact. Mais c’est aussi renoncer à lutter contre celles, de différences, qui nous sont encore imposées et qui existent, malgré nous.

Alors ?

Eh bien, amis asexistes, il nous reste à attendre que des êtres ayant bénéficié d’une éducation aussi asexuée que possible viennent démontrer, par leur simple existence au monde, qu’il ne reste plus aucune différence significative autre que les différences individuelles, plus aucune appartenance autre que les appartenances choisies.**

Comme pour tout cercle vicieux, il suffirait de rompre la chaîne en un point unique pour que le mécanisme s’enraye enfin. Mais les cercles vicieux sont les mécaniques les plus solides qui soient. Heureusement, la rupture se fait, parfois, chez un individu, par le jeu de l’expérience personnelle. Et c’est peut-être là que réside l’espoir. Car un individu peut en influencer un autre, par le jeu des expériences interpersonnelles. Il y a du travail… En commençant par semer la graine de la contestation dans les esprits : obliger chacun(e) à s’interroger sur l’origine réelle de ses comportements supposément sexués, et sur l’impact de tous les messages reçus (décisions, attitudes, réactions, incitations, règles implicites ; famille, amis, amoureux, médias, autorités, fiction, etc.)***. Ne rien laisser passer. Au risque d’être traités de pénibles, de chien(ne)s de garde (oh, quelle insulte), de féministes intégristes… à quoi nous pourrons toujours répondre : féministe, moi ? Non, je suis asexiste : je ne crois pas en votre dieu, je ne suis ni martien ni vénusienne, je suis terrien(ne).

L’asexiste ne prêche pas, il n’impose pas ses conclusions, il est juste l’emmerdeur qui sera toujours là pour poser la question : êtes-vous bien sûrs d’avoir choisi cela ? Vraiment sûrs ?

Eh bien, les ami(e)s, qu’attendez-vous ? Au boulot ! Et pourquoi pas ?

 

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* Peut-être les premiers athées ont-ils eu ce sentiment… nés et développés dans des sociétés où la négation de dieu n’était pas même concevable, difficilement envisageable, mais pressentant que les limites de la pensée pourraient être repoussées, si seulement ils osaient remettre en cause des axiomes inébranlables…

** Il nous faudra au passage accepter de construire notre identité exclusivement sur des critères non sexués, c’est-à-dire une fois de plus renoncer à jouer les moutons, faire preuve d’esprit critique, renoncer au confort illusoire d’une pensée prémâchée imposée par l’appartenance à un sexe. Rassurons-nous, il y a pléthore de pensées prémâchées disponibles en ralliant d’autres classes plus ou moins artificielles.

*** À ceux qui ne trouvent pas immédiatement évident qu’il puisse y avoir une raison non génétique à certaines de nos façons sexuées d’être au monde (les filles aiment le rose, les garçons aiment se battre, les femmes aiment se pomponner, les hommes sont des durs), on pourra recommander la lecture de Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, ce sera toujours un bon début.

Addendum : je ne nie pas l’existence de différences. Il est urgent et important d’en connaître la nature et l’ampleur, sous réserve qu’elles soient étudiées de façon rigoureusement scientifique. On s’aperçoit notamment dans le champ médical que la pharmacologie et la symptomatologie peuvent gagner dans certains cas à tenir compte de ces différences. Dans le champ sociologique, si différences il y a, il est tout aussi important de les caractériser pour pouvoir assurer le maximum d’égalité en les compensant. Dans tous les cas, je demande toujours à voir ce qu’il restera des différences, une fois débarrassés de toutes celles qui ne sont qu’artificielles. Et je maintiens que ces celles-là sont très, beaucoup trop nombreuses.

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