Où l’écolo gît


Prise de conscience, effet de mode, lubie, lobby, la préoccupation écologique est là, c’est un fait. Mais elle n’est pas uniforme. Il y a les catastrophistes, les fanas du complot, les lobbies industriels, les technophiles, les résignés, et il y a les ascétiques, plus ou moins inavoués. À mon sens, tous à l’exception des derniers, ont une certaine logique, aussi imparfaite soit-elle.

Les catastrophistes  ? Compréhensibles, car seul un discours alarmiste semble capable d’émouvoir les opinions et donc de forcer les pouvoirs à gesticuler, utilement ou non. Depuis des décennies que les écolos de la première heure s’égosillaient… tant que la menace ne paraissait pas sérieuse, ils étaient pris pour des fanatiques, des emmerdeurs, des empêcheurs de progresser en rond. Alors même qu’ils étaient peut-être plus pondérés que les catastrophistes actuels, ils n’étaient tout simplement pas jugés crédibles. Alors oui, un peu d’alarmisme était sans doute nécessaire.

Les fanas du complot ? Eux estiment que tous les enjeux, y compris écologiques, sont entre les mains de quelques uns, qui décident contre le bien public, dans leur seul intérêt. Il y a toujours quelque chose de pathétique dans l’attitude des complophiles. Leur refus de l’intelligence (plaisir certain à ne pas comprendre), leur volonté de se décharger de leurs responsabilités en se plaçant systématiquement en position de victimes… Mais en un sens, ils ont raison : il existe des intérêts dont nous n’avons pas toujours conscience et qui semblent nous dépasser si nous restons passifs, isolés et volontairement incultes. Ils oublient juste de noter que nous sommes tous partie prenante dans le complot instigué de longue date contre notre biotope. Mais il y a au moins quelque chose à prendre dans l’attitude de méfiance, pourvu que l’on ne s’arrête pas là.

Les lobbies industriels ? Ces mastodontes ont un grand pouvoir décisionnaire. Mais les décisions ne sont pas prises de façon aléatoire. On peut se contenter de juger cynique l’attitude consistant à se préoccuper d’environnement par pur opportunisme économique, mais à quoi nous attendions-nous ? Le système est tel que le profit à court terme prime sur tout, y compris sur le bien-être à long terme. Sauf si ce bien-être devient profitable, de toute évidence. Ici, la prise de conscience n’existe pas. L’économie n’a pas de conscience. L’effet de mode, par contre, fait tout. Du moins fait-il beaucoup, car tous les secteurs industriels n’ont pas à gagner avec l’écologie. Et c’est là la plus grande limite de cette logique. Mais va-t-on reprocher au système d’être ce qu’il est ? Il ne va pas se changer tout seul. En attendant, cynisme ou non, il y a à prendre là aussi, bon gré mal gré.

Les technophiles  ? Ceux-là ont pleine confiance dans les capacités d’adaptation de l’être humain, ses capacités à innover et à développer quand nécessaire des technologies écologiquement respectueuses, à se sauver lui-même, donc. Leur optimisme indémontable (jusqu’à en être suspect, chez certains) les rend parfois aveugles, ou étonnamment allergique à tout ce qui pourrait venir le nuancer (la part de dommages irrémédiables, la question des délais, l’obstacle inhérent aux volontés politiques et économiques…) mais ils ont raison : l’être humain est inventif et certainement capable de donner à ses inventions l’orientation qu’il choisit. Écologique, en l’occurrence.

Les résignés  ? Ceux-là sont pratiquement le portrait en négatif des précédents. Ils restent aveugles aux capacités formidables d’innovation technologique et déplorent les destructions irréversibles infligées à un environnement en mutation. Certains diront qu’ils s’accrochent excessivement à une illusion d’immuabilité du monde, que la résignation inhibe la réaction (rien ne sert de pleurer, il faut agir à temps), et il y a du vrai là-dedans. Pour autant, que les résignés manquent eux aussi de nuance ne signifie pas qu’ils se trompent sur toute la ligne. Ils disent vrai et doivent être entendus : certains dégâts sont déjà irréparables. Nous aurions tort d’en conclure que le mal est fait et qu’il est donc inutile de s’apitoyer. Il y a des leçons à tirer de nos erreurs, mais pour cela il faut commencer par les reconnaître.

À titre individuel, chacun compose avec ce qu’il souhaite prendre dans les différentes approches écolos. Et c’est très bien. Il serait vain d’en faire des clans, avec leur lot de luttes intestines. Ce n’est qu’ensemble que ces courants s’articulent avec une certaine logique : les alarmistes, en nous faisant peur, nous insufflent l’envie de réagir ; les complophiles nous montrent qu’il n’est pas facile d’agir face à certains intérêts et que nous devons rester vigilants ; les industriels nous prouvent que nous faisons partie de ces intérêts et se retournent comme des crêpes pour mieux servir nos envies d’écologie ; les technophiles nous redonnent confiance dans notre potentiel créatif ; les résignés nous invitent à ne pas oublier trop vite les erreurs passées. Il y a à prendre chez chacun, sauf peut-être…

Sauf peut-être ceux qu’en introduction j’ai rapidement appelés les ascétiques. J’aurais pu parler aussi de « mortification écolo ». Une confusion est née* dans certains esprits : à force d’avoir peur de tout ce qui vient de l’extérieur (pollutions diverses), ceux-là ont, sous prétexte de se protéger de tout, fini par se priver de tout. Ce qui devait être initialement une recherche du mieux vivre (respecter la terre cultivée, retrouver des goûts raffinés, réaffirmer le droit à la satisfaction des sens, de tous les sens, rétablir un environnement viable où il fait bon vivre) est devenu chez certains de ces extrémistes ascétiques une haine de la bonne chère, du plaisir gratuit, voire de leur propre corps (cas d’anorexie). Autant je comprends, sans l’approuver, la logique qui se trouve derrière le cynisme industriel, autant je trouve injustifiable la contradiction d’un écolo qui, au nom du mieux vivre, s’inflige (et veut parfois infliger aux autres) une vie de punitions et de privations**. Le goût pour l’auto-flagellation reste une liberté ; il me paraît seulement aberrant de se revendiquer alors d’une pensée écologiste.

Bien… Mais qu’en est-il sur la planète 2.0 ? demandez-vous avec impatience. Si vous aviez lu en intégralité ce recueil de chroniques, vous sauriez que la question est nulle et non avenue. Sur 2.0, nous n’avons jamais perdu de vue notre dépendance vis-à-vis de notre biotope***. Notre développement a depuis longtemps évalué son impact sur l’environnement. Alors la crise de conscience écolo… pas chez nous ! Vous ne me croyez pas ? Venez voir par vous-même ! Et pourquoi pas ?

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* La confusion est même double. Il y a la peur irrationnelle de toute pollution, mais il y a également la confiance tout aussi irrationnelle dans tout ce qui est associé à la nature. Le langage écolo (largement construit et/ou exploité par les industriels) y est pour beaucoup. Ainsi, tout ce qui est dit « naturel » est bon. Les ascétiques, plus que tout autre, raffolent de cette idée. Une petite infusion de ciguë avant de dormir ?

** Élisabeth Badinter s’est exprimé récemment sur les risques, pour la condition féminine, d’un mouvement rétrograde se revendiquant de l’écologie. Il s’agit pour moi de ce même travers qui, sans pondération, nous propose de renoncer à bien des progrès matériels et idéologiques (couches-culottes, serviettes hygiéniques et tampons, allaitement choisi, etc.) au nom de l’écologie, avec un arrière-goût hygiéniste et moralisateur. Si nous avons oublié de prendre en compte l’environnement en nous développant, il ne s’agirait pas à présent d’oublier de prendre en compte l’être humain au nom de l’environnement.

*** À cet égard, une petite mise au point : j’aurais pu parler aussi de l’esthétisation béate de la nature. Celle des Y. Arthus-Bertrand, N. Hulot et autres écolo-cinéastes qui consiste à nous dire « c’est tellement beau, on ne peut pas détruire ça ». C’est beau, oui, peut-être, sûrement, ou peut-être pas après tout. En fait, on s’en fiche pas mal. Si le propos peut servir (comme l’alarmisme et souvent en chœur avec celui-ci) la prise de conscience, il n’en est pas moins à côté de la plaque. Le seul argument valable, indiscutable, c’est que, beau ou pas, cet environnement est nécessaire à la vie de notre espèce. Point final.

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