COUARD

Comité d’Observation des Usages & Abus Rhétoriques Divers


Raison d’être

  1. La langue est une arme de dissuasion, de persuasion, d’intimidation, de manipulation, de domination, de reconnaissance clanique, mais aussi de jouissance créative, d’élaboration, de jeux d’esprit, en solitaire ou en équipe, et plus. Bref, il y a tout à gagner à l’avoir en main plutôt qu’à se la prendre en pleine poire.
  2. Régulièrement, on voit ressurgir une discussion un peu malhonnête : les SMS, Internet, etc., appauvrissent-ils la langue française ou une langue est-elle faite pour évoluer ? Qu’on se le demande : l’univers est-il en expansion ou faut-il préférer l’huile de noix à l’huile d’olive ? La plupart du temps, les mauvaises réponses sont le résultat de mauvaises questions. Une langue évolue (non qu’elle soit faite pour ça mais elle est faite comme ça) et sa méconnaissance peut appauvrir ses utilisateurs (et non le contraire).
  3. La langue est l’arme ultime des pouvoirs — qui chez nous aujourd’hui pourraient être médiatiques autant que politiques ou économiques. Les « médias » ne sont pas l’arme des pouvoirs, ils en sont les bons petits soldats, et cette armée-là n’a aucun problème de recrutement. Il semble que beaucoup des voix et porte-voix de ces pouvoirs (quand ce ne sont pas les agents voire les détenteurs de ces pouvoirs) sont arrivés à un stade où eux-mêmes emploient la langue sans être conscients du sens des mots et des phrases. L’occasion est trop belle : soyons plus fines lames que les ferrailleurs ! Si nous comprenons mieux qu’eux ce qu’ils nous disent, nous cessons déjà d’être des victimes impuissantes ! Faisons-nous décrypteurs, déboulonnons les rails de la propagande… il n’y a pas de petite résistance.

Publication des avis de vigilance du COUARD

 

Égaux dans l’indifférence

Au sujet de projets de lois contre les insultes homophobes, calquées sur les lois anti-racistes :

« pour qu’on ne puisse pas dire qu’il y a des différences entre les différentes discriminations »

De là à s’imaginer que notre locuteur fait la moindre distinction entre ces questions distinctes…


Vieux de tous pays, unissez-vous face à la menace

Sur France Inter, le 24 juin 2007, on nous signale des « échauffourées » du côté de Grigny …

« les forces de l’ordre sont intervenues » … « une voiture en feu » … « ils ont été accueillis par des jeunes. »

Nom de Zeus ! ! Des jeunes  ? ? ? Et ils ont réussi à faire face ? ?

Complément d’information : « échauffourée : subst. fém. Émeute, bagarre entre adversaires privés ou publics ; plus particulièrement, petit combat isolé au cours d’une guerre » (extrait du dictionnaire Trésor de la Langue Française)

Complément au complément d’information : si des historiens du langage, des vieux attentifs au langage, ou toute personne ayant des indications à fournir sur la question peuvent apporter leurs lumières au Comité, ce dernier leur sera éternellement reconnaissant (et pourrait même aller jusqu’à leur proposer d’en devenir Membre d’honneur bénévole). La question est : à quel moment le mot « jeune » est-il devenu synonyme de « délinquant en puissance ». Bien sûr, la jeunesse a toujours eu ses « blousons noirs », mais alors ne désignait-on pas les « mauvais éléments » en parlant de « voyous », « chenapans » voire « fripouilles », « petites frappes », « malotrus », « grossiers personnages », « zazous », que sais-je ? Aujourd’hui, ce sont des… des « jeunes » ! Mais quelle horreur ! Qu’attend-on pour éradiquer ces déviants ?


 Qui est contre ?

Radio toujours, J.-L. Debré, un 21 décembre, parlant de l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne :

« Ceux qui sont contre la Turquie »

Raccourci malencontreux ? Trahison de l’état de pensée ambiant ? À ceux qui râleraient en objectant que oui mais bon tout le monde a bien compris derrière le raccourci que « l’adhésion » était sous-entendue : dans le domaine du langage, rien n’est innocent. Il ne s’agit pas de jouer les Lacan et d’interpréter les intentions inavouées de celui qui a dit, il s’agit de ne pas occulter les effets inavoués sur celui qui entend ! Celui qui dirait « ceux qui sont contre les femmes », au lieu par exemple de « ceux qui sont contre l’entrée des femmes dans un corps exclusivement masculin » (comme il en reste un ou deux [sic]), se verrait sans doute répondre illico « oh mais je n’ai rien contre les femmes, seulement… » Tiens donc ?


Ne vous fatiguez pas, on s’occupe de tout !

Recherchons volontaires très disponibles pour comptabiliser occurrences de formulation suivante dans émissions radio/télé :

« notre invité nous dira ce qu’il faut penser de »

Le Comité souhaite émettre un avis de vigilance de niveau 3 (échelle à définir ultérieurement) sur ce point. Ce qu’il faut penser… ? crébendiou, mais c’est merveilleux !


Monsieur le Président qui nous préside à la présidence

« Je vais vous dire une chose, et je veux le dire à chacun et chacune d’entre vous »

De deux choses l’une : soit le rédacteur de ses discours est payé au mot, soit il n’est pas assez payé. Et si l’initiative stylistique est l’œuvre du président en personne, alors là c’est sûr, il est trop payé.


Le droit à la parole, le droit de se taire

Le traité pour une Constitution européenne soumis en 2005 au référendum nous parlait généreusement de notre

« droit de travailler ».

De si petits mots, de si grosses nuances… Vous avez le droit de travailler, on ne vous l’interdira pas. Quant à votre droit au travail, qui impliquera que nous nous engagions à faire notre possible pour vous accorder un emploi et nous assurer que nul ne s’oppose à votre droit… ça, on en reparlera plus tard si vous voulez bien, il y a plus urgent, mes pauvres petits.


Est-ce que j’ai une gueule de « problème » ?

Quand les mots se fréquentent trop longtemps, ils finissent par ne plus faire qu’un. Ainsi :

« le problème de l’immigration »

Cent mille fois entendu, passé dans des bouches improbables, de tous bords politiques, la formulation pose gravement problème au Comité. Le problème du problème, c’est qu’il qualifie sous ses airs de nom commun. Qu’on (nous) parle des migrations, y compris de l’immigration, comme de l’une des données sociales, économiques, politiques et diplomatiques, c’est entendu. Mais qu’on (nous) parle du « problème de l’immigration » et subitement la réflexion est sévèrement amputée… puisqu’on vous dit que c’est un « problème », enfin ! Le « problème » retranche toute possibilité de penser autrement qu’en terme d’effacement, de traitement, de nettoyage. Le « problème » n’ajoute qu’une chose : une connotation négative.


Encore un coup des jeunes (immigrés) !

L’insécurité…

Le mot en lui-même en dit long sur le point de vue de celui qui l’utilise. Vous, malheureuses victimes d’une violence que vous n’avez sans doute jamais vraiment subie… les plus insécurisés sont souvent ceux qui fantasment la violence, le monstre caché sous le lit que l’on a jamais vraiment vu mais qu’on se représente très nettement, lui, il fait vraiment peur. Pourtant, il y a des chiens de compagnie à tête écrasée qui semblent bien plus menaçant, mais eux mangent dans nos mains. Oh et puis c’est du délit de faciès.

Oui, le mot est lourd de sens, mais la manipulation linguistique majeure consiste à utiliser le terme « insécurité » à la place de « délinquance et criminalité ». Par exemple, parler de la « hausse de l’insécurité » pour désigner l’augmentation du nombre de délits et crimes. Pardon, ces mots-là ne sont pas interchangeables. L’un vous parle de la peur, l’inquiétude (générée par qui, par quoi ?), et se mesure difficilement, l’autre des faits, divers ou non.

Sur le sujet, le Comité renvoie vers une brochure librement disponible à cette adresse : http://infokiosques.net/spip.php?article=155


Mais alors… en quoi crois-tu ?

En rien. Croire « en », c’est déjà admettre une religiosité, une foi.

Encore un de ces petits mots à guetter du coin de l’œil. Croire en, c’est adopter une croyance, aveuglément par définition, un axiome, une idée que l’on ne cherchera donc pas à définir, remettre en cause ou argumenter. Croire que, c’est penser, avancer une hypothèse, à tâtons, sans exclure l’éventualité d’un changement de cap, surtout en prenant le moins de choses possibles pour acquises.


Le point de vue de l’artiste

Arte, le 13 avril 2005, parlant du spectacle d’un chorégraphe contemporain :

« met en scène la monotonie de l’existence humaine »

Bien sûr, c’est toujours moins dangereux qu’un jeune, mais se retrouver à regarder un spectacle dramatiquement chiant en pensant seulement assister à un spectacle qui met en scène la monotonie de l’existence humaine, ça peut vous détruire un homme.

D’où l’importance de rester vigilant face à l’utilisation faite de la langue, même dans les situations les plus anodines !


Banlieues, cités, quartiers

Diantre  ! Et tout ça fait consensus… comble de l’invraisemblable, on n’hésitera pas à parler de « jeunes de banlieue » en croisant dans la rue des gars qui habitent le centre-ville mais qui ont le malheur de porter leurs origines sur leur peau et dans leur accent, voire une casquette !

Alors une banlieue, ça veut dire quoi au juste ? Neuilly-sur-Seine, Vincennes, Saint-Mandé… ? « ah non, ma bonne dame, ça, ce ne sont pas vraiment des banlieues, enfin tu vois ce que je veux dire ».

Allons allons, osons le mot : une « banlieue », c’est un quartier pauvre. Voilà, ce n’était pas si compliqué !

Ah mais non, c’est vrai, comme nous l’a rappelé M. Balkany, le maire de Levallois-Perret (une banlieue ?) interviewé par les Yes Men, « il n’y a pas de misère en France » et les sans-ressources français sont des gens qui ont choisi de vivre ainsi. [Edit 2018 : Et de ce point de vue là, les politiques ont de la constance puisqu’il s’en trouve à nouveau pour nous dire aujourd’hui que les SDF sont juste des hippies qui ont choisi de vivre à l’air libre… par -5°C.]


Une affaire de goût

Une fois n’est pas coutume, voici un petit point d’expression bilingue.

En anglais, on peut lire sur certains menus « All you can eat ». L’équivalent, sur la carte de nos restaurants, serait « À volonté ». Intéressant. Là où les anglos (les Américains du nord, essentiellement) vous invitent à remplir votre tube digestif jusqu’aux limites de ses capacités, le restaurateur français vous dit de vous resservir jusqu’à saturation de votre bon plaisir. Autant que vous pouvez contre Autant que vous voulez. Derrière cet apparent détail linguistique se cache une illustration symptomatique de nos conceptions de l’art culinaire…

Alors, détail peut-être, mais peut-être aussi l’occasion d’extrapoler un peu. M’est avis que nous devrions garder à l’esprit que l’exportation des façons de vivre (c’est cool, c’est fun, c’est exotique) peut devenir l’exportation de façon de penser. Et, personnellement, celui qui se gave jusqu’à la nausée, parce que ça ne coûte pas plus cher, ne répond pas précisément à l’idée que je me fais d’un bon vivant, d’un gastronome. Juste un petit distinguo de rien du tout entre gourmandise et boulimie.

Enfin, on peut le dire ici, c’est bien sûr une affaire de goût !


Éloge de la soumission

1er mai 2012 : Guillaume Peltier (UMP) déclare sur RFI :

« il y a une France, celle du travail, celle qui ne demande jamais rien »,

la France du « vrai travail » que notre chère Mme Royal entend mettre à l’honneur en ce jour de fête du travail fortement pré-électoral(ist)e.

Damned ! Enfin une fête nationale pour les gens qui ferment leur gueule ! Ne rien demander, se soumettre docilement à une vie de dur labeur ingrat, sans exiger et idéalement sans même souhaiter d’amélioration de sa condition fait de nous de bons Français. Sachez-le, chez concitoyens, et vous serez honorés chaque année.

Quant à la France des étudiants, des chômeurs, des retraités, des « inactifs » en tous genres, qu’elle prenne donc exemple sur cette belle France qui a le mérite de savoir se taire…

Hmm… Tout de même, le comité s’interroge : y a-t-il vraiment une France qui ne demande jamais rien… ou certains de nos « dirigeants » seraient-ils affligés d’un étrange syndrome de surdité ?


Maho… mais

12 janvier 2015 : Sarkozy :

« L’immigration n’est pas liée au terrorisme, comprenez-moi, mais elle complique les choses »

Tout est dans la suite de la démonstration : en bref, « immigration » -> « difficulté d’intégration » -> « communautarisme » -> terroristes (dans le texte « individus comme ceux que nous avons vus »). Mais sinon, aucun lien.

Sarkozy n’est pas lié au racisme ambiant, comprenez-moi, mais…


Rien ?

Le COUARD ne pouvait, bien entendu passer à côté de cette perle rhétorique…

« Une gare c’est un lieu où on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien. »

Mais il s’agit cette fois de féliciter notre président du moment : cette phrase est linguistiquement impeccable. Le message est limpide. Nulle connotation idéologiquement perverse, puisque la connotation impliquerait un non-dit. Ici, tout est dit : nous ne sommes rien.


Une inexplicable confusion qui mérite d’être expliquée

D’aucun pourrait penser que la chose est évidente, mais apparemment elle ne l’est pas pour tous. Donc, reprenons :

Préfixe « in– » privatif + radical + suffixe « –able » exprimant la capacité/possibilité

Conclusion, l’inexplicable est ce qui ne peut être expliqué, tandis que l’inexpliqué est simplement ce qui n’a pas (encore) été expliqué. L’inexplicable est par essence inexpliqué. L’inverse n’est pas vrai.
Le plus drôle est qu’un miracle, par exemple, sera volontiers qualifié d’inexplicable, et ce tout simplement pour justifier de recourir à… une explication. L’explication sera naturellement irrationnelle et le sous-entendu est : « inexplicable par la science, donc explicable par un quelconque phénomène surnaturel, volonté divine ou autre. Je ne m’explique pas cette explication de l’inexplicable… Une suspension du jugement, a minima, ne serait-elle pas raisonnable (si ce n’est raisonnée [sic]) en ce cas ?

Le même principe s’applique à : incontestable/incontesté, injustifiable/injustifié, inavouable/inavoué, inaltérable/inaltéré, et ainsi de suite…
Alors, par pitié, un peu d’humilité, cessez de nous mettre du -able à toutes les sauces. Ce n’est pas parce que nous ne pouvons/savons pas l’expliquer qu’il n’y a pas d’explication.


Une si délicate attention…

Encore une jolie illustration du pouvoir des mots. Des politiciens nous parlent, encore et encore, de…

« raccompagner à la frontière »

… ceux qu’ils jugent indésirables sur notre territoire.
Pour un peu, nous les visualiserions tenant par la main ces chers « indésirables » et leur passant au cou un collier de fleurs avant de les inviter à prendre place dans l’avion avec un petit verre de champagne et de leur souhaiter « bon voyage ». Ah oui, c’est sûr, ça sonne mieux que « expulser » (pousser dehors). Lorsque l’on raccompagne, on est à côté, pas derrière en train de pousser, c’est tellement plus gentil.

L’euphémisme en politique ne sert qu’à une chose : faire oublier la cruauté des actes qui se cachent derrière les mots. Certains mériteraient franchement de se faire raccompagner à la frontière de nos institutions…


Tu savez bien que je vous aime

Dans l’audiovisuel, lorsque les personnalités qui s’expriment se tutoient dans « le civil », le vouvoiement devant le micro est censé, nous dit-on, être une courtoisie à l’égard du public.

Merci. Mais n’est-ce pas là une hypocrisie fort peu courtoise, en vérité, que de vouloir nous cacher une familiarité potentiellement porteuse de sens… ?


Quiconque souhaiterait signaler au Comité des points de vigilance linguistique supplémentaires est instamment invité(e) à le faire !

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