La dissonance des libertés


Liberté tout courtJanvier 2015. On est mort pour des idées, et pas de mort lente.

Dans les jours suivants, les maîtres à penser auto-proclamés, religieux, politiques, médiatiques, n’ont eu de cesse de mettre en dissonance ce qu’ils considèrent comme deux libertés inconciliables : la liberté d’expression, qu’ils prétendent souvent vénérer, et la liberté d’offenser, qu’ils conchient en chœur.

Je pourrais entamer un couplet bien rôdé et bien abstrait sur la nature indivisible et non négociable de la liberté, qui ne peut se décliner qu’au singulier. Je pourrais. Mais la vérité, c’est qu’il s’agit de bien plus que de liberté.

Il s’agit d’intelligence sociale. Il s’agit de quelques milliards de lombrics dotés d’une encombrante conscience et condamnés à vivre dans la plus grande promiscuité sur une trop petite planète.
Il s’agit de faire société. Société locale ou société mondiale, cela ne fait guère de différence.

Certains s’accommodent sûrement d’une société sanglante… du moins, tant que le sang est versé par eux. Ils seront les premiers à pleurnicher lorsque le sang versé est le leur. Nous pourrions nous mettre d’accord sur ce point : le plus simple serait probablement de faire l’impossible pour qu’aucun sang ne soit versé. Mais il y en a toujours, il y en a toujours eu et j’ai bien peur qu’il y en ait toujours pour croire qu’il y a une gloire à tuer et à mourir pour ses idées.

Des chrétiens ont massacré à tour de bras pour « christianiser ». Des musulmans font de même. Les bouddhistes, si mal connus ici, ne sont pas en reste. Les juifs ont passé beaucoup de temps à se faire persécuter, mais certains se rattrapent un peu aujourd’hui en tuant pour revendiquer leur droit d’exister. Je ne pense pas qu’il y ait un système de croyance qui échappe à cette absurdité. Pas même les croyances politiques ou économiques.

Leur rêve ultime, à tous, serait le monopole. Or… breaking news : cela n’arrivera pas. La différence est irréductible, elle est le principe de la vie.

Que faire alors ? Continuer de s’entretuer gaiement au long des millénaires dans l’espoir follement vain qu’il puisse en sortir un gagnant ?

Nous pourrions pourtant revenir à l’essentiel. Le contrat de coexistence, c’est-à-dire le renoncement au prosélytisme belliqueux. La recherche des points de convergence passe aussi par l’acceptation des points de divergence. Pour faire simple : accepter qu’une personne qui pense différemment n’est pas une personne à convertir par tous les moyens.

J’ai peur d’une chose : que des personnes puissent envisager comme un paradis sur terre un monde où tout le monde penserait très exactement les mêmes choses de la même façon. Dans quel monde vivrions-nous aujourd’hui si certains n’avaient pas osé, un jour, penser différemment ?

Bien sûr, moi aussi, je fantasme parfois un monde qui partagerait mon point de vue. Je me demande comment irait ce monde si du jour au lendemain, il était peuplé, par exemple, d’athées. S’il faisait l’économie de tous les conflits engendrés par les croyances diverses et pouvait concentrer toutes ses énergies cérébrales sur d’autres choses… Oui, bien sûr, je fantasme. Mais je SAIS que c’est un fantasme et je n’aspire pas à ce que ce soit autre chose qu’un fantasme. Du moins, je ne prendrai jamais les armes pour le faire advenir.

Alors, non, si nous avons vraiment l’espoir de vivre ensemble, la liberté d’offenser n’est pas plus négociable que la liberté d’expression. Étant donné que la seule existence d’une opinion différente est jugée offensante par les intégristes de tous poils, cette liberté-là, c’est notre survie. Leurs croyances m’offensent tout autant. Il serait bon qu’ils s’en rendent compte.

Non seulement la liberté d’expression et la liberté d’offenser ne sont pas inconciliables, mais elles sont effectivement indivisibles. L’une sans l’autre, elles n’ont plus aucun sens.

Sur la planète 2.0, la liberté ne s’arrête qu’au seuil du respect de la vie humaine et son principe est gravé dans la loi. La souscription au contrat de coexistence est un préalable à la citoyenneté. Et sur la planète bêta ? Mais pourquoi pas ?


Note sur le « Renoncement au prosélytisme belliqueux » : chacun est libre de chercher à convaincre autrui, mais si, à l’issue de la tentative, autrui n’a pas été converti, son droit à la vie ne lui sera en aucun cas dénié. Et idéalement, il pourrait être utile alors de chercher les modalités d’un vivre ensemble tenant compte de ces différends.


À toutes fins utiles, je précise que ce magnifique dessin est un portrait de mon ami Amir, hein, vous pouvez rengainer (pfff….)

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