« Un mot épicène est un mot qui n’est pas marqué du point de vue du genre grammatical et peut être employé au masculin et au féminin sans variation de forme. » (Wikipedia)
Disons-le tout net : l’écriture inclusive, telle que proposée récemment dans le petit pays France de la planète bêta, ici, nous n’aimons pas, mais alors pas du tout.
Le point milieu
Pour commencer, même si ce n’est qu’un détail dans cette vaste affaire, il y a la magnifique aberration typographique du « point milieu » ou « point médian ». Pour l’obtenir sur un clavier d’ordinateur sous Windows®, vous pouvez par exemple maintenir la touche « Alt » enfoncée et taper « 0183 ». Vous y êtes ? Sympa, hein ? Sinon, si vous tapez sur un écran de smartphone par exemple, vous pouvez… bah, juste laisser tomber. Il vous reste la possibilité d’utiliser un point classique, histoire de bien semer la confusion chez vos lecteur·rice·s. Certains diront que, si le point milieu s’imposait, il finirait par être intégré sur tous nos claviers et que cet argument n’en est donc pas vraiment un. Ils auront raison.
Mais enfin, revenons à la base… pourquoi diantre ce point milieu ? Refuser la mise entre parenthèses du féminin (ou même du masculin [sic]), voilà qui est bien compréhensible. La parenthèse peut donner un sentiment d’infériorisation. Par contre, pourquoi aller dégoter cet imbitable signe alors même qu’il existe déjà dans notre langue (et pas que, d’ailleurs) un signe tout simple, accessible sur tous les claviers, que nous comprenons instantanément comme l’expression d’une alternative ? Bah ouais, les amis, la barre oblique (ou slash pour les amateurs d’anglicismes), c’est pour les chien/nes ? Combien de fois avez-vous lu « et/ou » dans votre vie ? Qu’est-ce donc sinon une alternative à égalité entre le « et » et le « ou » ?
Bref. Encore une fois, ce pauvre point milieu n’est qu’un détail, et un détail idiot qui plus est.
Visible, trop visible
La question de fond est bien plus intéressante. Que veut l’écriture inclusive ? Rendre le féminin visible dans la société en le rendant visible dans le langage ? Il semble pourtant que le seul moyen de s’approcher autant que possible d’une société égalitaire (asexiste) serait de rendre le sexe invisible dans tous les cas où la distinction entre les sexes n’a aucun lieu d’être. Et très franchement, elle a assez rarement lieu d’être.
L’écriture inclusive, pavée de bonnes intentions, produit l’effet contraire. En voulant ramener le féminin dans la pensée collective, elle fait perdurer la distinction entre féminin et masculin, la rappelle à nos esprits, là où elle n’a aucune pertinence. Un politicien (qui, oui, peut être une politicienne, mais on s’en fout pas mal) entamant son discours par un « Chers concitoyens, chères concitoyennes » s’adresse aux deux moitiés de la population et le fait savoir. Il dit pourtant la même chose à ces deux groupes, de facto distingués. Il se serait contenté d’un simple « Chers concitoyens » que je ne me serais pas sentie exclue, en tant que femme. Je me serais sentie incluse en tant que membre du peuple (oh le beau singulier rassembleur que voilà). Avec l’ajout du féminin, je me sens catégorisée comme partie particulière du peuple.
Pour lutter contre l’invisibilité du féminin, on nous propose de rendre la distinction féminin/masculin omniprésente. Paradoxe ?
Effets indésirables du traitement œstrogénique de la langue
Il en va de même, à mon sens, pour la « féminisation » des noms, titres et professions notamment.
Notons au passage cette étrange idée de vouloir ajouter un « e » à la fin des mots en « -eur ». Les substantifs féminins ayant cette terminaison foisonnent : douceur, chaleur, torpeur, sueur, fleur, sœur, peur, froideur, largeur, longueur, épaisseur, lenteur, moiteur, clameur, raideur… stop ou encore ? Pourquoi serait-il choquant dans ce cas de lire « la procureur » ou « une grande auteur » ?
Mais, surtout, en quoi le genre ou le sexe d’une personne aurait-il une importance lorsque nous parlons de sa profession ? Une coiffeuse (lorsqu’il ne s’agit pas d’un meuble) fait bien le même métier qu’un coiffeur, n’est-il point ?
Poussons la logique plus loin encore : en quoi le genre/sexe d’une personne a-t-il une importance lorsque nous parlons de qualités humaines ? Une femme pourrait bien dire « je suis heureux » si elle s’exprime en tant qu’être humain et non en tant que femme. Quelle importance ?
En voulant féminiser systématiquement, nous perdons de vue ce qui nous rassemble pour ne plus voir que ce qui nous distingue, même lorsque rien ne nous distingue en réalité.
Le neutre (subst. masc.)
Heureux ces anglophones dont les noms communs connaissent si peu le genre…
Amusez-vous donc à rendre hors contexte : « My friend is an excellent translator. »
Oui, c’est ça… « Mon ami/e est un/e excellent/e traducteur/rice. »
Eux ne se posent pas la question de la féminisation, le neutre règne majoritairement. Un « hairdresser » vous coupera les tifs quels que soient les attributs présents dans son slip. Et un « he/she » (ou même « s/he » pour les plus audacieux) est toujours possible au besoin. Ils rajouteront éventuellement un « female » ou « male » devant le nom neutre si, et seulement si, la distinction fait sens.
C’est probablement involontaire de leur part mais admettons que, sur ce coup là, ils ont tout compris.
Malheureusement, une « neutrisation » de cette bonne vieille langue française engendrerait probablement une épidémie d’infarctus dans les populations francophones… sans compter qu’il faudrait pour cela : soit choisir l’un des deux genres existants pour en faire le neutre (aïe… non ! non ! pas taper !), soit faire preuve d’inventivité pour en créer un de toutes pièces (« Breaking News AFP 2068 : à l’issue de cinquante années de débats, en concertation avec l’opinion publique, les membres de l’Académie Françoise, moult fois décédés et remplacés, ont décidé… de renoncer. »).
En attendant, les mots épicènes restent ce qu’il existe de plus proche d’une écriture réellement inclusive (c.-à-d. qui inclut sans distinction). Cela demande d’y penser un peu, oui, mais il est souvent possible d’éviter l’allusion au genre. Dire « le personnel infirmier » plutôt que « les infirmier/ères », « le corps enseignant » plutôt que « les enseignantes et enseignants », etc., et recourir autant que faire se peut à tous les noms intrinsèquement épicènes, comme « les membres », tous les noms en « -iste », en « -aire », etc.
Conclusion
En clair, si la langue a un pouvoir prescripteur, il faut qu’elle nous prescrive de ne pas penser sans cesse au genre quand il n’a rien à faire dans la choucroute. Point barre.*
Non, la soi-disant écriture inclusive ne mettrait pas la langue en « péril mortel », n’en déplaise à nos piteux académiciens mais, non, elle ne soignerait pas non plus la société de sa misogynie, n’en déplaise à ses ardents défenseurs et leur bonne volonté. L’écriture inclusive ne fait qu’exclure l’indifférence au sexe. Faire une distinction entre les sexes lorsqu’elle n’est pas pertinente, même sans établir de hiérarchie, est déjà ou toujours une forme de sexisme.
Sur la planète 2.0, nous nous sommes dit que nous avions deux possibilités : arrêter de jouer aux con·ne·s, ou simplement arrêter de jouer aux (plus) cons. Nous avons choisi la seconde.
Alors, tenté·e·s ? Et pourquoi pas ?
* Au fait, quelqu’un connait-il le code ASCII pour le « point barre » ? :-x
Note : rien n’interdit, par ailleurs, de jouer un peu avec la langue, en particulier dans les recoins où règneraient encore des relents de machisme. Au final, la langue est une grande fille et les usages s’imposent s’ils le doivent, nonobstant les crispations des poussiéreux prescripteurs de bon usage. Sentons-nous libres, mesdames, de lancer à la cantonade un bon vieux « il me casse les couilles » car si nous ne prenons pas cette liberté, il y aura toujours comme un ovaire dans le potage.