Dans une précédente chronique, je parlais d’un travers de nombreux thérapeutes en psychologie, le déni de philosophie, l’idéologie refusée au « patient » par une discipline qui dénie sa propre idéologie (qui nie même en avoir une). Ces considérations s’appuyaient sur une vision de l’usage assez général de la psychologie en occident.
Il est temps de parler plus spécifiquement du cas de notre petit pays. Il semble qu’il existe une véritable exception franco-argentine1 : la bulle psychanalytique qui occupe pratiquement tout l’espace de la psychologie, qu’il s’agisse des professionnels (les écoles psychanalytiques étant largement prédominantes, même si la transition s’est enclenchée) ou qu’il s’agisse même du commun des individus (des concepts tels que l’œdipe, l’inconscient, les actes manqués, etc. étant totalement passés dans le langage courant et dans les mentalités). Je laisse à d’autres le soin d’expliquer comment et pourquoi les disciples freudiens ont reçu ici un si bon accueil. Je veux m’intéresser plutôt aux manifestations et aux conséquences de cette hégémonie, avant de conclure sur mon traditionnel « et pourquoi pas autrement ».
Les manifestations sont finalement assez banales. Un pouvoir hégémonique refuse plus que tout autre la remise en cause de sa légitimité et de ses compétences.2 Il en va ainsi de la psychanalyse qui tantôt se voudrait une sorte de « science », tantôt se réclamerait d’une absolue subjectivité, mais qui surtout s’oppose avec la plus grande sévérité à toute volonté d’évaluation. Les arguments ? Ils balancent, encore une fois, entre les contradictions : l’évaluation n’a pas lieu d’être puisque la psychanalyse ne vise pas le résultat (dans ce cas, l’éthique ne voudrait-elle pas que de la place soit laissée à ceux qui eux cherchent à améliorer la vie des personnes en souffrance ?) ou bien : la psychanalyse (en fait, le psychisme) n’est de toute façon pas évaluable (aussi perfectibles soient-ils, il existe pourtant en médecine de nombreux instruments d’évaluation du bien-être subjectif, des questionnaires de qualité de vie physique et mentale, notamment).
Refuser l’évaluation, outre conserver sa position de pouvoir, c’est bien sûr se prémunir contre l’éventuelle démonstration d’une inefficacité (inutilité) mais, plus grave, c’est aussi éviter la mise au jour d’une éventuelle nocivité. De nombreux auteurs ont pointé les guérisons fictives des patients de Freud, mais le mensonge n’est pas mort avec Freud. Deux exemples bien plus récents : les faux souvenirs induits par le thérapeute3 (presque toujours des souvenirs incestueux, évidemment, le grand dada de la psychanalyse, cette obsédée sexuelle) et la prise en charge de l’autisme en France4. Que la psychanalyse soit inapte à améliorer la vie des autistes, ce n’est pas grave en soi… pourvu qu’elle y renonce ! Ce qui est inacceptable, c’est que par son hégémonie, elle fasse passivement ou activement obstacle à l’importation de méthodes qui, elles, ont montré une certaine efficacité (des méthodes développées aux États-Unis depuis plus de trente ans, comme ABA, PECS, TEACCH, par exemple) et au développement d’autres approches que la sienne en général. Et ce qui vaut pour l’autisme vaut pour tout. C’est la base de la guerre qu’elle mène contre les thérapies dites cognitivo-comportementales (ou TCC) et qu’elle mènerait contre toute approche concurrente. Il semble justement, c’est peut-être là le pire, qu’elle ne craint pas tant la dissidence (des méthodes différentes, qui visent le résultat et acceptent l’évaluation, bien loin d’elle donc) que la concurrence (le risque de perdre sa place, point final).
Les conséquences, tout comme les manifestations, sont assez évidentes. Dans le grand public, des croyances irrationnelles sont perpétuées à l’abri de tout esprit critique, entravant souvent l’accès à la courtoisie relationnelle et aux mieux-être personnel que devrait viser la psychologie en tant que pratique universelle. Chez les patients, des personnes sont privées de soins. Le perfectionnement des soins est retardé d’autant. Des troubles sont parfois même générés de novo.5 Le bilan n’est pas neutre. Ne pas viser le résultat ne signifie pas ne pas avoir d’effets.
Hors de nos frontières, la psychanalyse n’a pas cessé d’exister, mais elle a commencé à être comparée, ce qui ne manquera pas de lui faire (re)trouver sa place, celle d’un courant de croyances, aux côtés de l’homéopathie et de l’astrologie, et non aux côtés de la médecine et de l’astronomie. Le chemin n’est qu’entamé, mais il est inéluctable. Il est étonnant, à l’ère où la circulation des idées est supposée être tant facilitée par la circulation des personnes et les outils de communication, de constater l’étanchéité de notre pays à cet égard. C’est que la bulle psychanalytique française défend sa position bec et ongles (destruction des contradicteurs avec les récurrentes accusations absurdes d’antisémitisme, par exemple, tentatives de censures, manipulations de l’opinion, jeux de lobbying, etc.). Il est temps que la bulle éclate.
Inutile de dire que, sur la planète 2.0, la psychanalyse n’est plus qu’un lointain (et vrai) souvenir. Sur cette planète d’esprits aiguisés, elle n’a pu échapper à l’évaluation critique6 et, tout naturellement, les personnes en souffrance se sont dirigées vers les méthodes qui offraient le soulagement le plus réel de la souffrance en question. Certains y croient encore et leur croyance est respectée en tant que telle. Mais les psychologies de cette planète se veulent désormais scientifiques. Elles sont reconnaissantes aux anciens d’avoir su mettre le psychisme à l’honneur, et savent que tout le travail reste à faire, en étroite collaboration avec les neurosciences, la biologie, les sciences cognitives et les autres sciences de demain. Oui, ici, la psychologie a accepté d’être scientifique, une science naissante, mais vigilante et jalouse de sa scientificité. Alors… tentés ? Et pourquoi pas ?
1. Sur le cas argentin, on pourra lire l’article de l’AFIS sur l’ouvrage de Mariano Ben Plotkin intitulé « Histoire de la psychanalyse en Argentine – Une réussite singulière » (http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1529)
2. Pour une illustration du refus offensif de la critique, lire également l’article de l’AFIS : http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1540
3. Pour plus d’informations, on pourra feuilleter le site http://www.psyfmfrance.fr
4. À ce sujet, il y a le documentaire de Sophie Robert, « Le mur, La psychanalyse à l’épreuve de l’autisme » et l’article en rapport sur http://cortecs.org/
[Ajout] Sur l’autisme toujours, en avril 2018, l’avocate Sophie Janois explique sur les ondes de France Inter qu’elle se retrouve encore à défendre des mères accusées d’être responsables de l’autisme de leur enfant (thèse que seuls les psychanalystes osent encore soutenir, comme le montre bien le documentaire ci-dessus) et auxquelles on voudrait retirer la garde de leur enfant à ce titre… on croit cauchemarder.
5. Combien de parents (en particulier, de mères) dévastés par la culpabilité après avoir été tenus responsables de la pathologie psychique de leur enfant ? Combien de toxicomanes privés de méthadone, morts de n’avoir eu droit qu’à la psychanalyse ? Combien de victimes des fameux faux souvenirs induits ? Et ce ne sont que quelques exemples parmi tant.
6. Cette évaluation qui fait hurler les psychanalystes « ô sacrilège ! » sous prétexte que l’on n’évalue pas la souffrance psychique… Sur 2.0, nous avons compris qu’il n’y a pas d’intérêt à évaluer la souffrance de l’un au regard de la souffrance de l’autre, mais que, d’une part, on peut évaluer l’évolution de la souffrance chez une même personne et que, d’autre part, il s’agit d’évaluer la thérapie/le thérapeute et non le patient (ce qui fait toute la différence).