Le féminisme se meurt, vive le féminisme


« Y a-t-il encore lieu d’être féministe aujourd’hui ? » J’enrage à chaque fois que j’entends poser cette question à une quelconque personnalité publique. Et pourtant, je crois comprendre d’où elle vient. Il faut bien sûr faire abstraction de deux bons tiers de notre planète ou se moquer éperdument du sort de quelques centaines de millions de femmes pour oser oublier que le féminisme n’est pas même un début de doux rêve pour une bonne partie de l’humanité. Mais admettons que nous ne nous intéressions qu’à notre situation locale. Il y a d’une part, fait indéniable, que jamais chez nous l’oppression des femmes n’avait autant reculé, et aussi rapidement. Inutile, je pense, de faire le catalogue des acquis sociaux, économiques et juridiques. Dès lors, certains peuvent penser que plus rien n’est à faire. Ou que le peu qu’il reste se fera de lui-même. C’est, à mon sens, une erreur. J’aurai l’occasion d’en reparler dans d’autres chroniques. Il y a d’autre part, un malentendu historique sur la nature profonde du féminisme, ce qu’il devrait être ou, au minimum, devenir maintenant. À commencer par le nom qu’il porte.

Si l’on espère que l’idéal féministe ne se nécrose pas, il est grand temps de le requalifier. Le terme de « féminisme » avait sans doute une raison d’être lorsque tout était à faire pour sortir les femmes de l’esclavage*. Il fallait se concentrer concrètement sur les droits des femmes puisqu’une distinction était établie, de fait. Mais l’objectif ultime ne devrait pas, ne doit pas être de redéfinir la féminité, « l’être femme ». Il doit être d’effacer les distinctions. Le féminisme ne se doit pas d’émanciper les femmes, il se doit d’émanciper les êtres humains. Aujourd’hui, chez nous, c’est bien là que réside la dernière crispation majeure (et pas uniquement chez des hommes, loin de là). La perte de repères est si soudaine, si massive, que beaucoup veulent se raccrocher à un tiède ersatz de l’idée première : égaux oui, mais différents, laissez-nous au moins cela ! Et pourtant… on ne pourra cesser de parler de féminisme que lorsque la question des différences ne sera plus du tout posée, lorsqu’elle n’aura plus de sens, sur la plupart des sujets.

Dans cet esprit de requalification, certain(e)s suggèrent que l’on ne parle plus de féminisme mais plutôt d’humanisme. L’idée est exactement celle-là. Sauf que. L’humanisme, vêtement un peu trop grand qui habille de jolies idées, est déjà lourd de connotations et ne peut évoquer ce dont il s’agit ici. Car enfin, il ne s’agit pas d’égalité entre les êtres humains mais bien d’égalité entre les sexes. C’est un tout petit peu différent, un rien plus précis. Pourquoi ne pas se laisser aller à un petit néologisme ? Sur le modèle de l’athéisme, on pourrait tout naturellement proposer, par exemple, le terme d’asexisme. Nous pourrions enfin commencer à remettre le sexe** à sa place, dans la sexualité et uniquement là. Un sexe est un outil de plaisir (et éventuellement de reproduction), ce n’est pas un attribut d’identité. Êtes-vous défini(e) socialement par la position du Kâma-Sûtra que vous préférez ? Vos galipettes préférées ont une importance, mais pour vous et vos partenaires uniquement. L’asexisme a le même point de vue : vous pouvez choisir de vivre votre sexe comme vous le voulez mais cela ne regarde que vous.

Il y aurait beaucoup à dire sur le féminisme d’hier et l’asexisme de demain, et j’y reviendrai, mais en attendant il me semble que réfléchir à la terminologie n’est pas accessoire. Le choix des mots a de profondes conséquences sur les idées, la perception des idées, et les actes qui en découlent. Le terme de féminisme nuit gravement au féminisme. Il est certes connoté du mauvais usage qui a pu en être fait occasionnellement, mais ce n’est pas seulement cela : il est, dès le départ, impropre. Et aujourd’hui, il est vital de changer le mot pour que l’idée survive et évolue.

Alors peut-être qu’il n’y a plus lieu, en effet, d’être féministe aujourd’hui. Peut-être qu’il est urgent pour les hommes et les femmes de devenir enfin asexistes afin de pouvoir espérer un jour passer à autre chose. Et pourquoi pas ?

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* Attention, toutefois, de ne pas oublier trop vite. L’histoire laisse des traces, que l’on aurait tort de négliger. Une fois l’esclavagisme aboli, les hommes sont égaux en droit. Mais le sont-ils dans les faits, du jour au lendemain ? Nous savons que ce n’est pas le cas, et aujourd’hui, on reparle régulièrement des écarts de salaire, notamment…

** L’anglais dispose de deux mots (gender et sex) pour désigner l’état et l’activité. L’absence, en français, de cette distinction peut sembler anecdotique mais ne facilite probablement pas l’élaboration mentale de cette distinction.

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