Une moitié de demi, notes sur l’optimisme


verre à moitié... vide ? plein ?Le pessimiste, entre deux options d’égale probabilité, choisit la plus sombre. L’optimiste, bien entendu, choisit l’autre. Le réaliste, lui, choisit l’option la plus probable, même si c’est la plus sombre. Grosse différence !
Petite définition de base qu’il ne me semble pas inutile de rappeler, ne serait-ce que pour soulager tous les réalistes qui se font régulièrement taxer de pessimisme lorsque la loi des probabilités ne fait pas pencher la balance du côté du monde merveilleux des bisounours.

Pour faire simple, prenons le célébrissime exemple du verre à moitié…
L’optimiste, avec la spontanéité de sa paresse intellectuelle (rappelons que, par défaut, pour lui tout est beau, abîme du raisonnement), l’optimiste donc le déclare à moitié plein. Heureux le simple d’esprit, il se réjouit de ce qu’il lui reste à déverser dans son gosier.
Le pessimiste, guère plus friand de chauffage de méninges, ne voit que le vide qui surplombe la petite moitié de plaisir qu’il lui reste et, triste sire, est tout entier regret et lamentation.
Le réaliste, pragmatique, sait bien que le verre est à moitié vide et à moitié plein, alors il s’interroge : s’il est plein (le réaliste, pas le verre), il se dit qu’il a eu son compte et que ce verre est juste comme il faut ; s’il est assoiffé, il se dit que ce verre-là ne suffira pas à épancher sa soif et qu’il va être obligé d’en commander un autre. S’il n’est pas encore rond et qu’il n’en a plus un en poche (de rond), eh bien oui, le verre sera trop vide à son goût. Si, pour une quelconque raison, il est dans l’obligation de finir son verre alors qu’il est sans soif ou bien trop rond déjà, eh bien oui, le verre sera trop plein à son goût. Bref, le réaliste n’a pas de point de vue prédéterminé sur les choses, il avise. Et pendant ce temps, les deux autres en sont restés à se réjouir béatement ou à maugréer inutilement.

Maintenant, de petits travaux pratiques, avec un fait prélevé dans l’actualité : la question du point de vue. Notre bien aimé empereur des Gaules a récemment décrété que le chômage partiel serait rebaptisé activité partielle. Examinons.

Pour le travailleur, « l’actif », qui subit souvent bien malgré lui un poste à temps (et à salaire) partiel, l’optimisme porte à penser : ok, je ne bouffe pas à ma faim mais, c’est chouette, j’ai plein de temps pour regarder la télé (sauf depuis qu’on m’a coupé l’électricité) ; le pessimiste, sans chercher plus loin, rumine : je pourrais avoir un temps plein, j’ai un temps partiel, bouh, moi pas content. Le réaliste cogite : j’aimerais bien voir ce que ça fait de ne pas vivre sous le seuil de pauvreté dans un pays riche, oui mais… pour ça, il me faudrait un salaire entier, or je suis au chômage la moitié du temps. Il conclut : dans le travail à temps partiel, le problème n’est pas le travail mais le temps partiel, celui où je ne travaille pas, où je ne gagne pas de sous. Chômage partiel, donc.

Changeons à présent de point de vue. Le politique et ses amis, eux, sont des gens instruits (si, si, ils ont fait l’ENA, Science-Po, et l’école du pouvoir), alors ils ne sont pas bêtement optimistes ou pessimistes, non, ils sont réalistes. Seulement, l’instruction n’exclut pas nécessairement une bonne dose de cynisme et de mauvaise foi. Alors, en tout réalisme partisan, ils estiment : nous avons tout intérêt à faire baisser les chiffres du chômage pour rehausser le moral de nos citoyens (et pour faire briller notre poil). Ok, l’argument n’est pas officiel, je suis mauvaise langue. Du moins n’auront-ils aucun mal à avancer que le temps partiel peut être un choix (aucun doute que si le salaire n’était pas tout aussi partiel, ce serait même le choix de tous ; en attendant, le salaire partiel n’est que marginalement un choix). Ils diront, pleins de bon sens : le travail, à temps partiel, reste du travail. Et c’est là que la subjectivité de leurs intérêts (quels qu’ils soient) altèrent leur réalisme, car tout bon réaliste qui se respecte sait que, comme le verre plein et vide, le temps partiel est travail et chômage. Quant à savoir s’il faut s’en réjouir ou le regretter, comme dans le cas du buveur, tout dépend des besoins et envies du sujet (le sujet de l’action, pas celui de sa majesté). La question est donc : quels intérêts dois-je prendre en compte pour me faire une opinion, moi qui ne suis ni chômeuse/travailleuse partielle ni politique/patron ? Ceux des premiers intéressés ou ceux de leurs dirigeants ? Peut-être est-ce mon optimisme béat qui me porte à penser que, membres actifs du MEDEF mis à part, peu d’entre nous hésiteront avant de répondre à ses questions… peut-être.

Tout ceci peut sembler mineur et pourtant, je suis intimement convaincue que c’est notre vision du monde toute entière et celle de notre propre existence qui sont en jeu ici. Pas exactement un détail.

Que déduire de ces réflexions ? Deux poncifs à abattre de toute urgence : le culte de l’optimisme à tout crin et l’universalité du réalisme.

L’optimisme, c’est joli, en surface. Oui, mais l’optimisme est simpliste et le simplisme rend paresseux (tout comme le pessimisme puisque dans les deux cas, le choix est fait d’avance par une attitude préétablie, mais le pessimisme comme regard sur la vie est moins à la mode). Le réalisme me semble plus honorable, plus reluisant. Il stimule l’intellect, et quand il arrive à une conclusion qui est jolie, elle est jolie pour de vrai, ce qui est nettement plus savoureux.

Ensuite, comme l’illustre notre exemple politico-économique, le réalisme de l’un n’est pas le réalisme de l’autre. Une fois rôdé à l’exercice, il est assez facile d’adopter une attitude réaliste pour soi, mais quand il s’agit des autres, attention ! Le réalisme impose d’étudier les points de vue et les intérêts en jeu.

L’épilogue coule de source, non ? Pour être heureux, intelligemment, zigouillons le bisounours qui est en nous ! Allez … et pourquoi pas ?

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