Un idio(t) bien utile

Il y a une chose que les médecins ne semblent pas apprendre au cours de leurs longues études : dire « je ne sais pas ».

Et pourtant, si un jour, vous vous êtes entendu dire que vous aviez une maladie ou un trouble idiopathique, c’est exactement ça qu’il fallait comprendre. Le médecin vous confirme que vous avez un truc, bénin ou pas, passager ou pas, mais il/elle n’a foutrement aucune idée de la cause de ce truc et probablement guère plus de la meilleure façon de vous aider. Son seul espoir est que ce mot, avec ses nobles racines grecques et sa gueule de diagnostic, suffise à vous apaiser.

Sauf que ce mot est l’exact opposé d’un diagnostic. Il est le symptôme d’une médecine qui refuse d’admettre son ignorance dans la langue du patient.

Peut-être que la force de cet effet contextuel (plus connu sous le nom d’effet placebo) par la reconnaissance du mal et le chic de l’étiquette peut fonctionner chez certains patients. J’ai tout de même un doute, dans la plupart des cas.

Ainsi, j’ai eu le bonheur de me faire diagnostiquer il y a bien longtemps une splendide « colopathie fonctionnelle idiopathique ». Le gastro-entérologue avait l’air assez satisfait. Bien sûr, il ne savait pas que le déchiffrage du jargon médical était le cœur de mon métier.
Quant à moi, donc, je suis repartie avec mon « mal de bide chronique inexpliqué » et la certitude que mes désagréments digestifs n’auraient pas été aggravés par un diagnostic plus honnête du type : « je suis désolée, madame, je ne sais pas ».
En revanche, mon estime pour ce professionnel de santé en eût été grandement améliorée.

Petite proposition de script à destination des médecins trop friands d’idiopathisme :

Votre souffrance est bien réelle, mais malheureusement, je n’ai pas réussi à en identifier la cause. Je vous ai prescrit tous les examens pertinents pour vérifier qu’il n’y a rien de grave. Les résultats sont rassurants. C’est tout de même une bonne chose, même si ça ne fait pas disparaître le problème. Nous pourrons chercher ensemble [ou je pourrai vous orienter vers des collègues pour chercher] des moyens empiriques d’atténuer votre souffrance au quotidien. Vous pouvez aussi vous rapprocher d’associations de patients, qui pourraient avoir des conseils utiles à partager avec vous.
Peut-être qu’à l’avenir, les avancées des connaissances nous permettront de mieux comprendre et traiter ce dont vous souffrez. En attendant, j’espère que vous trouverez des moyens de mieux vivre avec et nous ferons tout notre possible pour vous y aider.

C’est sûr, c’est plus long. Mais je suis sûre que l’effet placebo n’en serait que renforcé.

Pas assez casher pour être honnête

Discussion entre des potes de gauche (précision importante dans le contexte d’une élection au cours de laquelle l’intégralité de la droite, centre compris, s’est accordée sur une stratégie de diabolisation de la gauche fondée sur la seule accusation irresponsable d’antisémitisme)  :

B : De toute façon, il paraît qu’on est tous antisémites.
C : Bah moi, j’ai pas de problème à être antisémite vu que je déteste toutes les religions.
E : [avale sa langue] Oui, enfin, tu sais qu’il y a plein de juifs qui ne croient pas en dieu ?
C : Non, mais ça, moi… J’ai un problème avec ça. J’ai entendu Agnès Jaoui dire qu’elle était juive et athée. Ça me pose problème. Si t’es athée, t’es pas juive !
E : Bah si, beaucoup de gens se considèrent comme juifs en étant athées, parce que c’est plus qu’une religion, c’est aussi une culture, et…
B : Ouais, comme on peut se dire de culture chrétienne.

On respire, et on reprend.

Outre que dire «  je n’ai pas de problème à être antisémite  », c’est oublier ou nier le sens des mots tel qu’il s’est forgé dans l’histoire et que ce n’est absolument pas plus entendable que ne le serait «  je n’ai pas de problème à être islamophobe  » ou équivalent, rien ne va dans cette conversation.

Je ne blâme personne de ne pas bien comprendre ce que ça veut dire, être juif. Plus de deux mille ans plus tard, pas mal de juifs continuent de se poser eux-mêmes cette question. Mais je pense pouvoir apporter modestement un petit éclairage.

D’abord, que ça te plaise ou non, C, il existe un athéisme juif et ce depuis longtemps.

Ensuite, B, bien que j’apprécie la volonté d’apaisement qui sous-tendait ta comparaison avec une «  culture chrétienne  », je pense qu’elle a de grosses limites et qu’il existe une comparaison bien plus judicieuse.

Je n’ai jamais entendu un athée se revendiquer chrétien. Certains peuvent dire que leur pays a des racines chrétiennes. Je n’ai pas grand-chose à redire à ça, même si on pourrait en discuter. Mais je ne vois pas vraiment ce qu’il y a de comparable avec une personne athée qui se considère comme pleinement juive.

Mais alors, C, tu vas revenir à la charge et me demander comment elle peut se considérer comme juive si elle n’adhère pas à la religion idoine.

Laisse-moi te poser à mon tour une question  :

Est-ce qu’il te viendrait à l’esprit de contester son sentiment d’identité à une personne Rom (Tzigane, Manouche, etc.) au prétexte qu’elle ne croit pas ou plus en dieu  ?

Cette comparaison-là, B, me semble nettement plus pertinente.

– Oui, il y a une culture, en vérité des cultures Roms, comme il y a des cultures juives. Avec notamment des coutumes et des langues, qui peuvent varier selon les zones géographiques d’implantation.
– Les Roms comme les Juifs ont connu de longue date la diaspora. Leurs peuples ont une histoire.
– Les uns comme les autres ont connu génocides et persécutions, y compris par les nazis.
– Dans certaines de leurs musiques, même, on retrouve des parentés.
– Point anecdotique, et quoi que je pense de ce genre de réflexe, tous deux ont un mot, gadgé ou goys, pour désigner « les autres »).
– Même la taille de leur population totale est à peu de choses près similaire (environ 15 millions).
– Ils ont aussi en commun que leur identité s’est entretenue essentiellement par la cohésion sociale, ce qui coule plutôt de source pour des peuples dispersés et persécutés (et ce qui explique d’ailleurs que la perte d’identité se fasse le plus souvent non pas par perte de la foi mais par des unions mixtes).
– Et oui, ils sont sans doute bien moins nombreux, mais il existe également des Roms athées. (Sais-tu d’ailleurs que certains sont musulmans, bouddhistes, orthodoxes et j’en passe ? C’est donc bien que leur identité ne dépend pas de leur religion, non ? Quand bien même les juifs croyants n’en ont qu’une, je ne vois pas la différence. C’est bien qu’une identité peut découler d’autre chose que d’une religion ou d’une appartenance nationale.)

Pour finir, les uns comme les autres suscitent encore aujourd’hui la haine ou la méfiance, à ceci près qu’il y a sans doute encore moins de monde pour prendre la défense des Roms et que les premiers sont accusés d’être des voleurs tandis que les seconds sont juste suspectés d’être avares, vicieux et d’aspirer à être les maîtres du monde.

Voilà. J’espère que cette comparaison pourra vous aider, mes amis, à mieux comprendre ce bizarre sentiment d’identité.

Je rêve d’un jour où les discussions sur les sentiments d’identité, quels qu’ils soient, pourront être enfin autre chose que des prétextes à l’exclusion, aux préjugés et aux haines. Nous sommes tous riches d’identités souvent composites, bien au-delà des dieux et des territoires. Et nous devrions être libres d’en faire ce que bon nous semble.

Patcha, Shalom, Peace man  ! We’re all just humans after all (at least, most of us are, anyway !)

Fiche pratique : c’est quoi, un psy ?

Quelles différences entre un psychiatre, un psychologue, un psychanalyste, un psychothérapeute et un psychopraticien  ?

Numéro 1 : la formation

Le psychiatre est le seul à avoir fait des études de médecine (le « iatre » du psychiatre), avec une spécialisation en psychologie.

Le psychologue doit avoir fait des études universitaires complètes en psychologie (licence, master, mémoire de recherche et stage) et être inscrit au répertoire national et départemental.

Je ne rentrerai pas dans le détail de la nature et de la qualité des formations, c’est un autre sujet. Du moins peut-on affirmer que ces professionnels-là disposent de formations poussées et reconnues, qu’ils peuvent être considérés comme des professionnels de la santé mentale et que leurs professions sont réglementées.

Quant au titre de psychanalyste, il n’est pas réglementé et n’a aucun statut légal. L’Institut français de psychanalyse définit lui-même le psychanalyste comme un « intellectuel ». Faute de réglementation, aucune formation ne s’impose légalement. N’importe qui peut poser sa plaque. Si toutefois ils aspirent à une certaine légitimité au sein de leur communauté, les psychanalystes devront avoir eux-mêmes fait une analyse et, selon l’Institut susmentionné :

« Les psychanalystes devraient idéalement pouvoir justifier d’un diplôme de niveau bac + 5, en psychologie, en psychopathologie ou en psychanalyse, ou, si tel n’est pas le cas, d’un équivalent dans un autre domaine scientifique témoignant d’une capacité d’approfondissement d’un travail ordonné et évalué ». Tout est dans le « idéalement ».

Depuis une loi relativement récente (2004, décret en 2010), le « titre » de psychothérapeute est lui aussi réglementé :

« L’inscription sur le registre national des psychothérapeutes […] est subordonnée à la validation d’une formation en psychopathologie clinique de 400 heures minimum et d’un stage pratique d’une durée minimale correspondant à cinq mois […].
L’accès à cette formation est réservé aux titulaires d’un diplôme de niveau doctorat donnant le droit d’exercer la médecine en France ou d’un diplôme de niveau master dont la spécialité ou la mention est la psychologie ou la psychanalyse.
 »

Le psychothérapeute pourra donc être un médecin ou un psychologue, ou encore un psychanalyste qui a fait des études «  agréées  »*. Le terme ne désigne pas réellement un titre, mais davantage une pratique.

Sur la question de la formation, j’hésite à évoquer le psychopraticien, puisque la réponse est « néant ». Il s’agit moins d’un titre que d’une appellation d’origine non contrôlée. Aucune réglementation, aucune réalité solide, juste une étiquette pour ceux qui souhaitent vendre de la « thérapie » sans la moindre qualification. D’où sa récupération par une diversité ébouriffante de professionnels de l’ésotérisme.

Numéro 2  : la pratique

Une chose est sûre  : dans la pratique, le psychiatre est le seul à pouvoir prescrire des médicaments. Personne ne dit, bien sûr, que les médicaments sont la réponse à tout en matière de santé mentale, mais ceux qui refusent par principe le recours à ce qu’ils appellent avec dégoût «  la chimie  » ont à mon sens une posture criminelle (et accessoirement ignorante).

Cette distinction mise à part, le sujet de la pratique devient infiniment plus complexe.

Il existe une quasi infinité de courants, sur un large spectre qui s’étend de l’hallucination mystique à la psychologie fondée sur les données probantes (un chantier en construction, mais qui s’appuie sur des fondations solides), en passant par divers degrés de philosophies, souvent brodées autour de névroses** personnelles (sic).

Concrètement, pour caricaturer un chouïa, juste un chouïa, certains vous proposeront des méthodes imaginatives pour réaligner vos chakras, d’autres vous inviteront à parler en longueur de votre maman, tandis que les derniers chercheront avec vous à comprendre la nature exacte de votre souffrance puis à construire ensemble des solutions efficaces.

Tous ou presque (y compris, parfois, ceux qui n’en ont pas le droit) vous proposeront une psychothérapie, mais la forme que prendra cette dernière sera extrêmement variable.

Histoire de simplifier encore les choses, certains psychiatres et psychologues pratiquent des psychothérapies d’orientation analytique, d’autres pas, et tous ne vous préciseront pas quelle est leur école de pensée lors de votre première rencontre. Certains psychiatres et psychologues aspirent à plus de scientificité dans leur pratique (non, ce n’est pas une insulte, ça veut juste dire qu’ils acceptent d’évaluer l’efficacité de leur pratique), mais parmi eux, il en est qui cèdent un peu trop vite aux sirènes de nouvelles techniques non éprouvées. Rien n’est la garantie de rien. C’est la jungle.

Alors, comment s’y retrouver  ? Comment décider du psy à consulter  ?

Si vous allez plutôt bien (y compris financièrement) mais que vous ressentez une légère irritation au niveau du chakra inférieur gauche les nuits de pleine lune, vous pouvez sans trop de risque vous rendre chez le psychopraticien le plus proche.

Si vous avez vraiment besoin de parler de votre maman, sans que votre vie en dépende, vous trouverez une vaste gamme de psychanalystes à votre disposition. Freudiens, Jungiens, Lacaniens, pour les plus connus, et bien plus encore. They come in all kinds of shapes and colors !

Si vous subissez une dépression, par exemple, commencez par aller voir votre généraliste, ou éventuellement un psychiatre si vous avez les moyens. En tant que médecin, le psychiatre est remboursé, mais les dépassements d’honoraires scandaleux sont loin d’être rares. Sinon, vous avez bien les CMP (centres médico-psychologiques), dont les psychiatres et psychologues accueillent gratuitement les personnes en souffrance psychologique… moyennant six mois d’attente et une prise en charge parfois indigente (faute de temps et de moyens, probablement).
Si vous avez besoin d’une psychothérapie, après la consultation du généraliste, à votre place, j’opterais pour un psychologue. Là encore, les pratiques sont diverses et il est important de discuter dès le début de la méthode employée par le professionnel pour vous assurer qu’elle vous convienne.

Si vous avez un besoin spécifique bien identifié (une phobie, par exemple), le plus sûr serait de trouver un psychologue spécialisé. Il en existe plein.

Bref, je n’ai pas fait le tour du sujet. Il faudrait des années.

Tout ça est bien compliqué, malheureusement.
Je dirai, en résumé : si vous allez mal, hôpital (en cas d’urgence aiguë), généraliste, psychiatre ou psychologue, selon la situation. Et pour le reste : ne soyons pas passifs ! renseignons-nous sur la formation, le courant de pensée et les méthodes de nos professionnels de santé mentale. Et n’hésitons pas à en changer, si nécessaire. Puis, pour les plus courageux, militons pour une prise en considération sérieuse de la santé mentale car, non, ce n’est pas un sujet anecdotique.

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* « Il existe aujourd’hui des formations en psychopathologie et en psychanalyse, de qualité variable selon le degré d’idéologie dont elles peuvent être imprégnées, dont quelques unes sont agréées pour le titre de psychothérapeute, dispensées en particulier au sein de cursus universitaires. » (Institut français de psychanalyse)

** Névrose ? Grosso merdo, un trouble psychique dont le patient est conscient mais qui prend naissance dans son inconscient (l’inconscient psychanalytique, bien entendu).

Les autres

Je n’ai jamais vraiment compris les instincts grégaires qui poussent tant de gens à se chercher une «  famille identitaire  » ou s’y accrocher si fermement quand ils n’ont pas eu besoin de la chercher. Mais plus encore, je trouve étrange ce besoin de nommer ceux qui ne font pas partie de la dite famille.

Cis, goys, provinciaux, allopathes, extraterrestres, gadjos, neurotypiques, etc.
Quèsaco  ?
Qu’on parle de genre, de sexe, de géographie, de religion, de diagnostic médical ou d’autre chose, c’est toujours pareil. Il s’agit de «  tous ceux qui ne sont pas…  », les autres. Pas une catégorie en soi, mais un ensemble artificiel dont la seule caractéristique commune est de ne pas faire partie d’une minorité donnée (qui parfois est elle-même composite). On parle donc, par définition, d’un ensemble hétérogène qui, s’il devient le sujet d’une quelconque phrase, risque fort de nous plonger tout droit dans une essentialisation paradoxale.

L’essentialisation est, nous dit-on, «  l’acte de réduire un individu à une seule de ses dimensions  ». Quand cette seule dimension est la non-appartenance à un groupe (aux contours pas toujours si clairs), on frôle le ridicule. Où est l’essence  ?

Alors, il y a peut-être des contextes dans lesquels l’utilisation de ce genre de mots peut se justifier (au-delà de la tautologie, s’entend, car certes, un provincial n’est pas parisien – encore que, dans mon cas, ça peut se discuter), mais dans l’ensemble, je ne vois que du danger intellectuel dans la nécessité de désigner les autres comme une entité définie.

De la même façon qu’on n’a jamais raison de commencer une phrase par « les Français sont », « les Français pensent que », « les Français veulent » ou toute autre généralisation de cet acabit, quand bien même nous le faisons tous à l’occasion, par facilité.

Certains diront : « Elle est chiante, celle-là, à toujours pinailler sur les mots ». Bah ouais, mais les mots sont bien plus que les briques de la pensée. Ils sont des armes rhétoriques. Ils peuvent tout autant servir la pensée que l’asservir. L’ignorer, au mieux, c’est se faire esclave d’une pensée qui ne nous appartient pas, car si vous ne voyez pas ce qui se cache derrière un mot, vous n’êtes que l’aveugle qui pense que les couleurs n’existent pour personne.

À trop crier au loup

Mais sinon… on est bien d’accord que
ceux qui auraient l’intention d’entrer en guerre avec la France,
s’ils sont malins,
ils lanceraient l’offensive à midi
le premier mercredi du mois… non ?

La faillite du doute

Le plus désolant, je crois, n’est pas la hauteur vertigineuse de la barre orange –car oui, manifestement, il faut le préciser : la nicotine est addictive, mais non, elle n’est pas cancérigène. Le plus affligeant, c’est la taille ridicule de la barre grise, celle de l’humilité, de ceux qui savent qu’ils ne savent pas.

Bien sûr, idéalement, il serait préférable que la barre bleue crève le plafond. Fumeurs ou non, le tabagisme nous concerne tous, puisque c’est une question de santé publique de premier plan. Et on ne lutte pas contre un tel fléau en se fondant sur des mensonges. D’autant moins lorsque cela revient à diaboliser l’outil le plus efficace pour la sortie du tabagisme (méta-analyse à l’appui – pour info, la méta-analyse est le plus haut niveau de preuve scientifique).

Les personnes averties (j’entends par là, les rares personnes qui ont suivi le film de la campagne éhontée menée contre la vape à travers le monde, à deux ou trois pays près) pourraient penser que ce graphique est la simple conséquence de la désinformation massive égrenée par diverses autorités de santé, associations prétendument anti-tabac et autre milliardaire anti-vape. Et c’est effectivement ce qui explique, pour beaucoup sans nul doute, le graphique ci-dessous.

En revanche, pour le premier graphique, je pense que le mécanisme en jeu est plus complexe.

Même les acteurs cités ci-dessus, ces grands complices de ce qui est peut-être le plus grand scandale sanitaire de tous les temps, même eux, me semble-t-il, ne poussent pas jusqu’à affirmer que la nicotine est cancérigène. Ils n’ont pas de scrupules à affirmer d’autres mensonges mille fois réfutés (« effet passerelle » et compagnie), mais ça, non, pas que je sache. Il faut dire que pour les autorités de régulation des médicaments, cela reviendrait à dire qu’ils ont autorisé la mise sur le marché de produits cancérigènes (en vente libre !) depuis des décennies, puisque les substituts nicotiniques (gommes à mâcher) auraient reçu leur première AMM en 1986 en France.

Alors quoi ? Comment en arrive-t-on à avoir plus de 8 personnes sur 10 convaincues de la cancérogénicité de la nicotine ?

Le cerveau humain est ainsi fait qu’il n’aime pas rester dans l’expectative, le doute, le flou. Il faut avoir une opinion, sur tout, même si cette opinion doit être sculptée dans le marbre de notre ignorance.

Alors, vite fait, ça peut donner tout bêtement : clope = nicotine, clope = cancer, donc nicotine = cancer. C’est simple, c’est propre, ça marche. Faux, mais heuristiquement efficace.

La méfiance à l’encontre de la vape a malgré tout pu jouer également un rôle, par association (en oubliant encore une fois les nombreux autres produits de sevrage à base de nicotine, dûment évalués et autorisés).

Néanmoins, je propose à mon tour une autre équation :

aversion pour le doute / impérieuse nécessité de se faire un avis, et vite
+
immuabilité disproportionnée des opinions, même (surtout ?) fondées sur du vent
+
influence des pairs / auto-entretien de l’opinion majoritaire
+
x*
=
persistance dans l’erreur.

* Où x = la part de mon ignorance


Si les hauteurs des barres grises et oranges avaient été inversées, j’aurais regretté un peu le manque d’information du public. Mais diantre ! que j’aurais été rassurée : il est bien plus « facile » de renseigner quelqu’un qui ne sait pas que de faire changer d’avis quelqu’un qui croit savoir.

Pour ma part, je crois savoir par exemple que la faillite du doute, la réticence à dire sincèrement « je ne sais pas », est le ferment d’une bonne part des fléaux dans lesquels l’humanité aura été amenée à patauger au cours de son histoire. Essayez voir de me faire changer d’avis !




Graphiques issus de l’enquête annuelle de Sovape : https://www.sovape.fr/bva-2023-vapotage-nicotine-epidemie-doute/

Scientisme

Définition TiLF : « Attitude consistant à considérer que toute connaissance ne peut être atteinte que par les sciences, particulièrement les sciences physico-chimiques, et qui attend d’elles la solution des problèmes humains »

Scientiste, moi ? Alors, oui. Mais non.

Je pense effectivement que la méthode scientifique (et non « les sciences ») est la plus efficace pour produire des connaissances scientifiques relativement solides. Et je pense, je constate, qu’elle a apporté des solutions à certains problèmes humains.
Pour autant, je ne pense pas qu’elle soit compétente pour produire « toute connaissance » et solutionner n’importe quel problème humain, ni qu’elle ait vocation à le faire.

L’expérimentation scientifique, même non formalisée à ses débuts, a été le moteur des « progrès » de l’humanité. Fallait-il vraiment que l’humanité emprunte ce chemin ? Ces « progrès » étaient-ils en réalité une déchéance ? Ces questions-là sont sûrement légitimes, mais elles ne relèvent pas de la science.

Tout ça pour dire…

Non, cher ami, je n’idolâtre pas la science. La science est faite par des humains, elle est donc capable du meilleur comme du pire. En revanche, je reste convaincue que la méthode scientifique est la plus fiable pour produire de la connaissance scientifique et que, oui, la connaissance scientifique est utile, car elle offre des prémisses rationnels à nos raisonnements, y compris ceux qui ne relèvent pas de la science.*

Et là, je me rends compte qu’en écrivant ce maudit mot, « rationnels », je vais me trouver obligée de produire un prochain billet sur… le rationalisme… [soupir]

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* Un exemple ? Avec plaisir !
Mettons que vous voulez décider si la vaccination contre une maladie X doit être rendue obligatoire. Cette question n’est pas une question scientifique. Elle peut être politique, sociétale, philosophique ou que sais-je encore. Néanmoins, si vous faites reposer votre argumentation sur des données erronées (au hasard « le vaccin provoque l’autisme, la sclérose en plaques ou le contrôle de votre cerveau via une puce 5G »), la décision que vous prendrez n’aura aucun fondement logique.
Vous pouvez en revanche argumenter que l’obligation vaccinale est attentatoire aux libertés. La science n’a rien à dire là-dessus. Moi si, mais c’est un autre sujet.

Mauvaise mémoire

Celui qui pense avoir une bonne mémoire s’expose davantage au risque de se fourvoyer. Tout simplement parce qu’il lui accorde une confiance aveugle. Or, qu’on la pense bonne ou qu’on la sache faillible, notre mémoire nous trompe, inéluctablement.

Et pourtant, nous avons besoin d’elle. Pour construire notre vie, pour écrire notre fable personnelle, pour élaborer notre être au monde, pour penser, pour ressentir, pour réfléchir.
Notre fondation : un château de sable, mouvant.

J’avais écrit, pour la chanson Recuerda  : « Nuestras memorias están tan llenas de las mentiras de nuestras amnesias » (Nos mémoires sont tellement pleines des mensonges de nos amnésies).
Il faut croire que les personnes, comme les peuples, bâtissent leur histoire sur des mensonges.

Peut-être n’est-ce pas si grave. Peut-être est-ce même nécessaire, parfois. Je crois, néanmoins, que l’on gagne toujours à rester lucide, même lorsque l’on se ment.

Réflexion inaboutie sur l’impudeur

À première vue, cette photo pourrait sembler impudique. Et pourtant, on n’y voit rien que la bonne morale chrétienne soit susceptible de réprouver. Rien de plus que ce que pourrait dévoiler une tenue de soirée ou de plage, et encore. Mais bien sûr, c’est ce que l’on ne voit pas qui rend l’image « suggestive ». Ainsi que ce que l’on déduit de la position du bras, qui semble vouloir cacher quelque chose, alors qu’il n’en est rien : elle ne fait que montrer le dessin du tatouage.
Mais quand bien même.
L’impudeur est-elle un crime, un péché, un défaut de caractère ?

Savez-vous qu’en anglais, le même mot, « modesty », peut traduire l’idée de « pudeur » et de « modestie » ?
Plus perturbant encore, ce que mes dictionnaires me donnent pour l’impudeur : « indecency », « shamelessness » pour l’un, et « audacity », « cheek », « immodesty », « impropriety », « impudence », « nerve » pour l’autre.
Quand je vous dis que nous sous-estimons toujours les valeurs portées par le langage… Les mots ne sont pas, ne sont jamais, de simples outils innocents.

Bref. M’est avis que.
L’indécence n’existe que dans les yeux de celui qui regarde.
In all modesty, let’s be immodest.