Discussion entre des potes de gauche (précision importante dans le contexte d’une élection au cours de laquelle l’intégralité de la droite, centre compris, s’est accordée sur une stratégie de diabolisation de la gauche fondée sur la seule accusation irresponsable d’antisémitisme) :
B : De toute façon, il paraît qu’on est tous antisémites.
C : Bah moi, j’ai pas de problème à être antisémite vu que je déteste toutes les religions.
E : [avale sa langue] Oui, enfin, tu sais qu’il y a plein de juifs qui ne croient pas en dieu ?
C : Non, mais ça, moi… J’ai un problème avec ça. J’ai entendu Agnès Jaoui dire qu’elle était juive et athée. Ça me pose problème. Si t’es athée, t’es pas juive !
E : Bah si, beaucoup de gens se considèrent comme juifs en étant athées, parce que c’est plus qu’une religion, c’est aussi une culture, et…
B : Ouais, comme on peut se dire de culture chrétienne.
On respire, et on reprend.
Outre que dire « je n’ai pas de problème à être antisémite », c’est oublier ou nier le sens des mots tel qu’il s’est forgé dans l’histoire et que ce n’est absolument pas plus entendable que ne le serait « je n’ai pas de problème à être islamophobe » ou équivalent, rien ne va dans cette conversation.
Je ne blâme personne de ne pas bien comprendre ce que ça veut dire, être juif. Plus de deux mille ans plus tard, pas mal de juifs continuent de se poser eux-mêmes cette question. Mais je pense pouvoir apporter modestement un petit éclairage.
D’abord, que ça te plaise ou non, C, il existe un athéisme juif et ce depuis longtemps.
Ensuite, B, bien que j’apprécie la volonté d’apaisement qui sous-tendait ta comparaison avec une « culture chrétienne », je pense qu’elle a de grosses limites et qu’il existe une comparaison bien plus judicieuse.
Je n’ai jamais entendu un athée se revendiquer chrétien. Certains peuvent dire que leur pays a des racines chrétiennes. Je n’ai pas grand-chose à redire à ça, même si on pourrait en discuter. Mais je ne vois pas vraiment ce qu’il y a de comparable avec une personne athée qui se considère comme pleinement juive.
Mais alors, C, tu vas revenir à la charge et me demander comment elle peut se considérer comme juive si elle n’adhère pas à la religion idoine.
Laisse-moi te poser à mon tour une question :
Est-ce qu’il te viendrait à l’esprit de contester son sentiment d’identité à une personne Rom (Tzigane, Manouche, etc.) au prétexte qu’elle ne croit pas ou plus en dieu ?
Cette comparaison-là, B, me semble nettement plus pertinente.
– Oui, il y a une culture, en vérité des cultures Roms, comme il y a des cultures juives. Avec notamment des coutumes et des langues, qui peuvent varier selon les zones géographiques d’implantation.
– Les Roms comme les Juifs ont connu de longue date la diaspora. Leurs peuples ont une histoire.
– Les uns comme les autres ont connu génocides et persécutions, y compris par les nazis.
– Dans certaines de leurs musiques, même, on retrouve des parentés.
– Point anecdotique, et quoi que je pense de ce genre de réflexe, tous deux ont un mot, gadgé ou goys, pour désigner « les autres »).
– Même la taille de leur population totale est à peu de choses près similaire (environ 15 millions).
– Ils ont aussi en commun que leur identité s’est entretenue essentiellement par la cohésion sociale, ce qui coule plutôt de source pour des peuples dispersés et persécutés (et ce qui explique d’ailleurs que la perte d’identité se fasse le plus souvent non pas par perte de la foi mais par des unions mixtes).
– Et oui, ils sont sans doute bien moins nombreux, mais il existe également des Roms athées. (Sais-tu d’ailleurs que certains sont musulmans, bouddhistes, orthodoxes et j’en passe ? C’est donc bien que leur identité ne dépend pas de leur religion, non ? Quand bien même les juifs croyants n’en ont qu’une, je ne vois pas la différence. C’est bien qu’une identité peut découler d’autre chose que d’une religion ou d’une appartenance nationale.)
Pour finir, les uns comme les autres suscitent encore aujourd’hui la haine ou la méfiance, à ceci près qu’il y a sans doute encore moins de monde pour prendre la défense des Roms et que les premiers sont accusés d’être des voleurs tandis que les seconds sont juste suspectés d’être avares, vicieux et d’aspirer à être les maîtres du monde.
Voilà. J’espère que cette comparaison pourra vous aider, mes amis, à mieux comprendre ce bizarre sentiment d’identité.
Je rêve d’un jour où les discussions sur les sentiments d’identité, quels qu’ils soient, pourront être enfin autre chose que des prétextes à l’exclusion, aux préjugés et aux haines. Nous sommes tous riches d’identités souvent composites, bien au-delà des dieux et des territoires. Et nous devrions être libres d’en faire ce que bon nous semble.
Patcha, Shalom, Peace man ! We’re all just humans after all (at least, most of us are, anyway !)