Arrêtez-moi si je me trompe mais cette rengaine de l’extrême droite, « être français, ça s’hérite ou ça se mérite », c’est bien la même idée que nous vendent à demi-mot les droitistes de tout poil au sujet de l’argent (et éventuellement du pouvoir qui l’accompagne), non ?
L’idée est tout aussi vomitive. Les implications sont toutefois assez différentes.
En matière de gros sous :
L’idée du mérite me débecte, puisqu’elle qui revient au mieux à nier les injustices, celles qui favorisent autant que celles qui défavorisent (biais d’attribution et tutti quanti).
Mais défendre l’héritage, ce n’est plus faire semblant de ne pas les voir, c’est embrasser ces injustices de toutes ses forces, ce qui me semble être pire encore.
Les sous-entendus :
- Si tu en hérites, peu importe que tu le mérites (ou bien, tu mérites d’en hériter ? non, quand même pas ? si ? ! ?)
- Si tu l’obtiens sans en avoir hérité, c’est forcément que tu l’as mérité (oubliant au passage tout ce qui a pu favoriser grandement ta « réussite » ; encore un de ces biais d’attribution).
Alors, comment mérite-t-on de s’enrichir ?
- Je travaille dur, dis le monsieur, en nous rappelant qu’il ne compte pas les heures passées sur son fauteuil ergonomique (ceux qui font les trois huit pour un misérable smic, ceux qui se retrouvent avec des troubles musculosquelettiques à force de mouvements répétitifs, ceux qui subissent les cadences infernales du néomanagement, ceux qui s’échinent dans des boulots usants pour mille et une raisons, ceux qui bossent tout court, sagement, sans espoir d’enrichissement, eux ne bossent pas assez dur, sans doute)
- Je prends des risques (le risque de ne pas pouvoir payer la facture d’électricité à la fin du mois ? le risque de ne pas pouvoir manger à sa faim ? ou bien le risque de devoir mettre son entreprise en faillite et ses employés à la porte ? Très mesurés, les risques, non ?)
- J’ai eu une bonne idée (à la limite, oui, d’accord)
- « Je ne l’ai pas volé, cet argent ! » (juridiquement, soit… éthiquement, on peut en discuter ? Quand l’enrichissement se fait aux dépens d’une force de travail toujours rémunérée au plus bas, entre autres, on devrait pouvoir en discuter)
Et sinon, en matière de nationalité :
- Hériter d’une nationalité ne me semble pas poser question. La nationalité est l’un des cailloux dans le champ de cailloux de notre identité personnelle. On y met ce qu’on veut. Une langue, des habitudes culturelles, une histoire qu’elle nous « appartienne » ou non, un territoire géographique, local ou moins local, tout ça, rien de tout ça ou autre chose. Peu importe. Chacun fait sa cuisine avec ce qu’il trouve de « français » en lui. Que l’on hérite pour partie de cette identité, c’est naturel. Comme on hérite de sa famille tout un tas de briques d’identité.
- Mériter une nationalité ? une toute autre affaire.
Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire dans leurs têtes montées à l’envers (pour rester polie) ? Adhérer à des valeurs ? Quelles valeurs ? Les valeurs de qui ? Non, parce que si on devait retirer la nationalité à tous ceux dont les valeurs me donnent la nausée, nous connaîtrions une sérieuse crise démographique.
Pour nous éclairer sur ce dernier point, le dernier député RN à avoir ressorti du placard mal fermé la p’tite phrase à la rime pas bien riche a ainsi précisé son propos :
« Vous ne pouvez pas être Français si vous n’aimez pas la France, sa culture et son histoire ! »
Ah. Mais euh… si, on peut, en fait.
Ne vous en déplaise, il n’est écrit nulle part dans nos lois que nous sommes tenus d’aimer la France, sa culture et son histoire.
(OK, je feins de ne pas comprendre que le monsieur veut dire « vous ne devriez pas pouvoir devenir français si » et non « vous ne pouvez pas être français si ». Mais il n’avait qu’à s’exprimer correctement ! 😉)
Pour ce qui me concerne, je n’achète pas le package. Il y a de larges pans de l’histoire de France que je n’aime pas du tout, du tout. Je ne suis pas sûre de savoir ce qu’est « sa culture », mais si ça ne se limite pas à ses fromages, nul doute que je n’y adhère pas pleinement non plus. D’ailleurs, même en matière de fromage, j’ai mes limites, je déteste le roquefort. Quant à aimer « la France », le concept est encore plus flou.
C’est quoi, « la France » ?
Je peux vous dire ce que c’est pour moi : une mosaïque.
De personnes, de paysages, d’idées, de cultures, d’histoires, de religions et d’irreligions, j’en passe.
Alors, je ne sais pas si j’aime la France. Mais j’aime l’idée qu’elle soit et qu’elle demeure une mosaïque, quand bien même certains fragments, vus de près, sont franchement très laids.
Vu ce qui nous attend, heureusement que j’ai hérité de ma nationalité…
